Nous sommes dans le café avec quatre jeunes hommes. Tous d’âges différents le cadet a 24 ans à peu près, l’aîné – 34. Ils sont amis, ils font du sport et du rallye ensemble. La plaque d’immatriculation de l’auto de l’un d’entre eux porte les lettres KRA (Kadirov Razman Ahmatovitch). Celui-ci parle le moins, le plus bavard est l’aîné, les autres ajoutent quelque chose rarement. Cette interview a été rendu possible grace à un accord passé avec tous les protagonistes afin qu’ils concervent leur anonymat.
Un père qui estime son enfant ne le frappera pas, sinon il ne s’estime pas. Quand on fait quelque chose de mal et que les parents l’apprennent, ils n’ont qu’à te regarder sans rien dire. Tu en viendrais à souhaiter qu’ils te frappent. Mais ils ne disent pas un mot et c’est la pire chose au monde. Une femme ne doit pas prendre de décision. Une seule erreur commise par une femme salie la génération actuelle tout comme les générations précédentes. C’est seulement des générations plus tard que l’erreur peut-être oubliée. Ainsi afin d’éviter que l’erreur ne se produise, l’homme vit dans un souci constant. Par exemple l’islam nous enseigne: « Aimez votre mère, estimez votre mère, adorez votre mère, mais n’oubliez pas qu’elle est aussi une femme».
J’ai par exemple une sœur, elle a dix ans de plus que moi mais quand même elle me doit obéissance. Savez-vous comment les rendez-vous se passent chez nous – on garde un ou deux mètres de distance – ça c’est le rendez-vous ! Une femme ne doit pas accepter un rendez-vous dans un lieu si elle pense que son frère ou son cousin peut passer par là, même s’il n’y a qu’une petite chance. Elle ne prendra pas le risque même si les chances sont infimes, qu’un membre masculin de la famille la voit. Ce respect envers les hommes s’inculque dès l’enfance.
Par exemple, voyez mon ami il a 7-8 ans moins que moi. Je ne sais absolument pas s’il fume ou pas, s’il boit de l’alcool ou pas, bien que nous passions beaucoup de temps ensemble dans le même club. Je ne sais pas s’il a une petite amie ou pas. Et ça, c’est parce que je suis l’ainé. On ne peut pas respecter les traditions qu’on ne connaît pas. On a eu 15 ans de guerre ici. Et pendant cette période on ne pensait pas à la culture, aux traditions, aux coutumes. C’est à dire, l’homme vivait simplement, on vivait de manière sauvage. On peut dire que maintenant tout se rétablit au fur et à mesure. On vit simplement et on s’en tient aux traditions que nos pères respectaient. Oui, bien sûr, nous aussi nous voulons encourager nos enfants, sortir, jouer au football avec eux. Mais c’est inacceptable ici.
Il est difficile de nous comprendre. Nous avons de l’amour pour nos enfants. Mais nous devons respecter les traditions. Pourquoi? Par ce qu’àprès, peut-être que ce même enfant, se retournera contre son père, sa mère, son frère... C’est comme ça que cela fonctionne, tu récolte ce que tu as semé.
Vous ne sentez pas une pression sur vous? Car si on est l’aîné on est responsable pour un grand nombre de personnes...
Non, vous ne pouvez pas appeler cela pression, c’est considéré comme un devoir. Nous n’avons pas d’orphelinat, ni de maisons de retraite. Je me sentirai déshonoré que d’accompagner un membre de ma famille à la maison de retraite.
Je ne sais même pas comment expliquer tout ça. On peut-dire que c’est inscrit en nous, presque à un niveau génétique. Par exemple, un gars perd son père à 16 ans. Mais il a sa mère, il a des soeurs et des frères. Cette personne quitte automatiquement son enfance. Il quitte ses jeux, ses amis. Il devient simplement le chef de la famille. Comment était mon enfance? Avant la guerre je n’ai presque pas eu d’enfance. Regarde, je suis allé plus ou moins jusqu’en 5ème, mais après Dudayeva été élu [Dzhokhar Dudayev a été élu president de la tchétchénie indépendante le 9 novembre]. Il n’y avait pas d’école normale. Il n’ y avait pas d’enfance.
A 17 ans je ramassais simplement des morceaux humains. Avant cela, enfant, on a vu comment les hélicoptères bombardaient les maisons avec toute une famille dedans, on ramassait déjà des morceaux de corps humain pour pouvoir les enterrer... De quelle enfance on peut parler après ça. Presque toutes les familles ont traversé ce genre de choses. La vie peut être tranquille jusqu’en CM2 – 6ème, et après, vous savez, hein?! Bien sur c’est une comparaison un peu abrupte, mais regardez à Beslan. Le siège de l’école dans la petite ville de Beslan en Osétie du Nord qui a conduit à la mort de près de 380 personnes sur les 1100 otages. Certaines personnes pensent que le Kremlin a mal géré la situation et certains pensent même qu’il a manipulé les extrémistes musulmans pour qu’ils commetent ce crime.
Ce type d’évènements, on a en a presque tous les jours. Après Beslan, les gens avaient besoin de soutient psychologique, d’être admis en centre de réhabililtation ou de cures de récupération. Et on a vu ces horreurs jours après nuits pendant combien de temps, je vous le demande? La première guerre a duré prés de deux ans, et 10 ans pour la seconde, tout le temps pendant ces deux guerres était presque plus terrifiant que les guerres elles même.
En 6eme, j’avais déjà une arme sous mon tshirt quand j’allais à l’école. C’était tout à fait normal. Et tout homme plus vieux que ça – s’il n’avait pas déjà une arme – personne ne le considerait comme un vrai homme. On nous a rendu notre enfance il y a à peine 10 ans. Par exemple, je suis encore incapable de la laisser derrière. Je joue encore avec des jouets et je ne vois rien de problématique à ça.
Assez peu de temps est passé depuis le début de la guerre, et nous avons eu a changer si rapidement qu’aujourd’hui nous avons un tout autre comportement, plus approprié, je crois que c’est le mot.
Est ce que vous êtes arrivé a dépasser tout ceci?
Pourquoi? J’avais le choix? Est ce que quelqu’un a eu le choix? Non, nous n’en avons pas eu, et pas seulement d’un point de vue purement psychlogique. Je n’avais nulle part où aller. En 2000, je vivais à Grozny où les gens laissaient leurs lumières allumées. Je pouvais débarquer dans n’importe quel appartement où les lumières étaient allumées et passer la nuit , avoir un refuge pour un moment. Parce que si vous êtes jetté dans la rue, c’est la fin pour vous. Vous pouvez vous considerer foutu. Les gens sont devenus unis grace à la guerre, comme n’importe quelle nation pourrait l’être. Et depuis on retrouve un peu une vie normale.
Est ce que le retour à la vie normale se passe bien?
Ça va plutôt pas mal. En fait, ça va même trés bien, même si en général il y avait pas mal de choses qui se passaient autour de moi, je m’en suis sorti. Je ne peux pas dire que la guerre m’ait particulièrement affecté, je n’ai pas le droit de le dire, parce que je suis en bonne santé, je suis mentallement en bonne santé. Le seul problème c’est que mon éducation n’est pas bonne, je ne suis pas allé à l’école, il n’y avait pas d’écoles. C’est necessaire de contrôler ce qu’il reste de votre âme à certain moment. Par exemple, au moment de la première guerre j’étais un adolescent.
J’étais prêt à mordre n’importe qui, à lui sauter à la gorge juste pour une discussion politique, et ça, à cause de ce que je voyais tous les jours. Mais après la guerre , notre gouvernement m’a recadré automatiquement. A la fin 2003 et 2004, nous assistions à des competitions sportives dans différentes parties de la Russie. Et l’attitude envers nous était quelque peu étrange. On pouvait sentir la peur et le manque de confiance à notre égard, en tous cas pas un seul sentiment de pitié. Ces gens étaient à Nord Ost. (le théâtre où – le 23 octobre 2002, des militants Tchétchènes ont pris 850 otages pendant une représentation de la pièce "Nord Ost". Le siège se termina par un assaut des forces spéciales lançant des armes chimiques. Le nombre total de mort s’est élevé à 170.) Ce sont des victimes aujourd’hui.
Pourquoi nous regardent-ils de cette façon? J’ai toujours voulu comprendre. Les gens me dissent que quand les journalistes sont venus et qu’on leur a montré comment dans un village tout le monde avait été tué – à l’exeption d’un petit garcon grace à la pitié d’un soldat Russe - ils n’ont pas de pitié pour les Tchéchènes. Dans ce même village, ils ont brulé des bébés, ils les ont brulés! Que leur avaient ils fait? Pourquoi personne ne prends pitié de nous? Qu’est ce que c’est que cette attitude? “Ces Tchétchènes…” disent ils. Oui nous sommes Tchétchènes, et alors, hein? Et alors?
J’ai beaucoup de réponses. Quand dans les années 90, nous regardions constament ces vidéos de Tchétchènes assassinant des Russes, leur coupant la gorge…
Eh bien voilà! On y est… comment tout a commencé? Ce village, Samashki: la moitié des gens ont été poignardé à mort, l’autre moitiée violé. Et ils ont tout enregistré sur video, et les copies de ces cassettes étaient vendues dans les kiosques et les marchés. C’était le début. Quand ils ont montré comment un père était forcé de ragarder sa fille se faire violer, ou quand ils ont éventré une femme enceinte, en la tenant par les cheveux, que le foetus tombait par terre et que les forces spéciales balançaient de l’huile solaire dans le ventre de la mère pour la bruler comme une bougie et manger leur plat tranquillement. Ils montraient ça en public, ils le partageaient à dessein, comme ça les gens avaient envie de tuer ces soldats. Maintenant dit moi que j’ai tord. Ils ont d’abord montré ça au village, c’était clairement une opération punitive. Il n’y avait aucun combattants ici. Prenez Boudanov par exemble (Youri Budanov était un officier Russe de haut rang, un des rares à avoir été reconnu coupable par un tribunal d’enlèvement et d’assassinat sur une jeune Tchétchène, Elza Kungaeva.)
Après sa remise en liberté sur parole, il a été tué par balle. Il avait pris 8 ans pour le viol et le meurtre, mais le gars qui est censé avoir tué Budanov, ils ont essayé de lui coller 15 ans. Par exemple, un officier russe, le gendre d’un ministre, a été reconnu comme étant atteint du syndrome Tchétchène. Mais qu’est ce que ça veut dire le syndrome Tchétchène? Il n’a pas vu le sang qu’il a versé ou quoi? Ou peut-être qu’il n’existe pas de syndrome fédéral russe… Si biensur... il existe, chacun à son syndrome.
Et encore une fois, Ils n’ont eu aucun mots d’excuse pour la déportation de 1944 ou plus de 500 000 tchétchènes et Ingouches ont été déporté vers le Kazakhstan sur l’ordre de Joseph Staline et alors que les survivants n’ont eu l’autorisation de revenir qu’en 1957. Le gouvernement invoquât la possible collaboration d’une partie de ces populations avec les Nazi comme raison à leur déportation. (En 2004 le parlement européen qualifiat cette affaire d’acte de génocide) Et tout cela alors même que nous nous étions battu contre les nazis. Vous connaissez le problème des Russes? Le premier est qu’ils mènent une mauvaise politique envers les gens simple. Parce qu’en Russie ça se passe comme ça, si tu as de l’argent tu fais ce que tu veux, si tu n’en as pas, tu ne peux rien faire.